Moeurs et coutumes des Indiens
Moeurs et coutumes des Indiens de Louisiane
HISTOIRE


On présente ici un article d’ environ 30 pages sur les tribus Indiennes voisines de la Louisiane. Ce texte date d’ environ 1902 ; il est dû à Eugène Guénin, un historien peu connu, né en et mort en ...... Le récit d ‘origine est probablement dû à Le Page du Pratz, dont on connait les sources .Le texte de Guénin (et tout le livre « Histoire de la Louisiane ») a été retrouvé par Norbert Soulié chez un bouquiniste en France.
Le texte est conservé tel quel, sauf erreur typographique éventuelle. On ajoute, pour plus de clarté, des sous titres. L ‘intérêt de ce texte est évident, dans la mesure où il décrit la vie des Indiens peu avant la guerre des Natchez. Les trois principales tribus Indiennes de Louisiane étaient les Natchez, Choctaw et Chikassas.
On trouvera aussi , chez Chateaubriand (Voyage en Amérique) une vision voisine des Indiens, complétée par un précis grammatical extraordinaire.
INTRODUCTION
Les Français, venant s'établir à la Louisiane, y trouvaient diverses peuplades, quelques-unes fixées au sol qu'elles cultivaient, d'autres vivant de chasse et de pêche au milieu des plaines et des forêts couvrant la vallée du Mississipi. Les principales étaient, le long du fleuve, sur sa rive gauche les Natchez et les Tunicas, à l'intérieur les Chactas et les Alibamons séjournant aux abords de la rivière Mobile, les Chicassas plus haut dans les terres; sur la rive droite les Taensas, les Arkansas, les Illinois, et à l'intérieur, vers le Mexique, les Natchitoches et les Cenis.
Toutes ces nations avaient des coutumes, des mœurs, des traditions en partie communes, qu'il importe de connaître au moment où nous allons nous trouver en contact avec elles, et que de leur concours ou de leur hostilité dépendra parfois le sort même de la colonie.
Constitution physique
Les naturels de la Louisiane, en général, étaient bien faits; fort peu avaient une taille inférieure à cinq pieds et demi. La jambe était nerveuse et ferme, celle de marcheurs et coureurs infatigables; la tête droite, un peu plate par le haut, les yeux noirs, les cheveux de la même couleur, gros et droits. Si l'on n'en voit point, nous dit un contemporain, qui soient extrêmement gras et replets, aussi n'y en a-t-il point d'aussi maigres que des étiques. Les hommes sont tous grands et les femmes d'une moyenne grandeur, mais les uns et les autres assez bien proportionnés dans leur taille, ne s'en trouvant point comme en Europe d'une figure gigantesque ou aussi courts que des nains.
Les enfants sont blancs en naissant, mais ils brunissent parce qu'ils les frottent d'huile d'ours pour les exposer au soleil. Ils les laissent se traîner à quatre pattes sans les promener sur leurs jambes encore trop faibles pour porter le poids du corps. Ils les frottent d'huile pour deux raisons: premièrement pour rendre les nerfs plus flexibles; en second lieu pour empêcher les mouches de les piquer quand ils sont ainsi nus et abandonnés à eux-mêmes.
Dès leur enfance les garçons sont habitués au tir à l'arc et aux exercices du corps ; les jeunes filles aux travaux de leur sexe 1.
Coutumes locales des Indiens
Quant aux coutumes et aux mœurs des indigènes, et en particulier des Natchez avec lesquels nos luttes ont été les plus sanglantes, les colons qui ont vécu dans leurs bourgades, ou qui ont eu avec eux de fréquentes relations, nous donnent à cet égard de précieux détails.
Habillement
Pendant les chaleurs, disent-ils, les hommes ne portent qu'un brayer2. C'est une peau de chevreuil, frottée de blanc ou teinte en noir, ou en drap. Pour soutenir ce brayer ils ont une ceinture sur les hanches dans laquelle ils engagent un bout qui sort, de quatre pouces sur les reins; le reste qui passe entre les jambes remonte dans la ceinture du côté de la chair, et le bout long d'environ un pied et demi retombe sur les cuisses.
Les femmes pendant les chaleurs n'ont qu'une demi-aune de limbourg au moyen de laquelle elles se couvrent. Elles tournent ce drap autour de leur corps et sont bien cachées depuis la ceinture jusqu'aux genoux. Quand elles n'ont pas de drap, elles emploient au même usage une peau de chevreuil. Aux hommes ainsi qu'aux femmes le reste du corps demeure à découvert.
Si les femmes savent travailler, elles se font des mantes de plumes ou d'écorce de mûrier tissée.
Quand le temps est chaud, elles ne portent qu'une mante en forme de jupe; mais si le froid se fait sentir, elles en mettent une seconde dont le milieu passe sous le bras droit et les deux coins sont attachés sur l'épaule gauche.
Les hommes, lorsqu'il fait froid, se couvrent d'une chemise faite de deux peaux de chevreuil, ce qui ressemble plutôt à une veste de nuit qu'à une chemise, les manches n'ayant de longueur que ce que la largeur de la peau peut laisser. Ils se font aussi un habillement que les Français nomment mitasses; il couvre les cuisses et descend des hanches au soulier où il entre jusqu'à la cheville du pied. Quand ils ont du drap rouge ou bleu, ils prennent plaisir à s'en parer soit en couvertes, soit en mitasses.
Par-dessus tout cela, si le froid est un peu rude, ils ont une robe de bison passée en blanc du côté de la chair, mais dont la laine reste entière et que l'on met du côté du corps pour avoir plus chaud. Dans les pays où il se trouve des castors, ils se font des robes composées de six peaux de ces animaux.
Fêtes et tatouages
Pour les fêtes, les jeunes gens, voulant être plus parés les uns que les autres, se mettent souvent du vermillon, Ils ont des bracelets faits avec des côtes de chevreuil rendues très minces et courbées à l'eau bouillante. Le côté extérieur de ces bracelets est aussi blanc et uni que de l'ivoire poli. Ils portent de la rassade en collier comme les femmes. Ils mettent du duvet blanc sur le rond de la tête qui est tondu; mais au petit toupet, ou flotte de
cheveux qu'ils laissent au milieu de la tête, ils attachent des plumes droites les plus blanches qu'ils peuvent trouver.
Les naturels, hommes et femmes, se font tatouer la figure et diverses parties du corps. Ceux qui se sont signalés par quelque fait d'importance se font piquer un casse-tête sur l'épaule droite et au-dessus le signe hiéroglyphique de la nation vaincue.
Les guerriers se fendent le bas de l'oreille pour y passer des fils de fer ou de laiton en forme de tire-bourre d'un pouce de diamètre; ils sont si pesants qu'ils allongent les oreilles.
Quant aux chefs, ils portent une couronne de plumes.
Les bourgades sont formées de cabanes réunies dans un lieu choisi à l'abri des inondations et à proximité des territoires de chasse.
Ces cabanes sont élevées en carré; il n'yen a point qui ait moins de quinze pieds de large en tout sens, mais il en est qui en comptent plus de trente. Pour les construire les sauvages vont dans les bois chercher des perches de jeunes noyers de quatre pouces de diamètre sur dix-huit à vingt pieds de long. Ils plantent les plus grosses aux quatre coins pour en former la largeur et le dôme; mais avant d'enfoncer les autres, ils préparent l'échafaud. Celui-ci est comme la rassade est un grain de la grosseur du bout du doigt d'un petit enfant, elle est plus longue que grosse. Sa matière est semblable à celle de la porcelaine. 3
Installation de la tente ou tipi.
Le tipi est composé de quatre perches attachées ensemble par le haut, et les bouts d'en bas répondent aux quatre coins. Sur ces quatre perches, on en attache d'autres en travers à un pied de distance; le oritre présente une échelle à quatre faces, ou quatre échelles jointes ensemble. . •
Cela fait, on fiche en terre les autres perches entre celles des coins, puis on lès lie fortement à une autre qui les traverse en dedans de chaque face. A cet effet, on se sert de grosses clisses de cannes pour les lier à la hauteur de cinq à six pieds suivant la grandeur de la cabane; c'est ce qui forme les murailles. Ces perches debout ne sont éloignées les unes des autres que d'environ quinze pouces. Un jeune homme monte ensuite au bout d'une des
perches d'un coin avec une corde qu'il y attache, et ceux qui sont en bas tirent la corde pour faire pencher la perche autant qu'il est nécessaire. Dans le même temps, un autre en fait autant à la perche de l'angle opposé. Alors, les deux perches courbées à la hauteur convenable, on les attache fortement. On agit de même pour celles des deux autres coins, que l'on croise avec les premières. Enfin, on joint toutes les autres à la pointe, ce qui donne la figure d'un berceau de jardin. Après cet ouvrage, on attache des cannes sur les bas côtés à huit pouces environ de distance en travers, jusqu'à la hauteur des murailles.
Ces cannes étant ainsi attachées, on fait des torchis de mortier de terre dans laquelle on met de la barbe espagnole, espèce de mousse que l'on trouve sur les arbres aux bords des rivières; elle pend des grosses branches comme une chevelure. Elle a été nommée ainsi parce que les naturels lui trouvaient une ressemblance avec la barbe que portaient les Espagnols.
Les murs n'ont pas au delà de quatre pouces d'épaisseur. On ne laisse aucune ouverture que la porte qui n'a que deux pieds au plus de largeur sur quatre de hauteur. On couvre ensuite la charpente avec des nattes de cannes, attachées les unes aux autres de manière qu'elles joignent bien.
Ils font après-cela beaucoup de fagots d'herbe, de la plus haute qu'ils peuvent trouver dans les bas-fonds; elle a quatre à cinq pieds de long. Elle se pose de même que la paille dont on se sert en France pour couvrir les chaumières. On attache cette herbe avec da grosses cannes. Quand la cabane est couverte, on pose sur le tout des nattes de cannes bien liées les unes aux autres, et par le bas on fait tout autour un cercle de lianes; puis on rogne l'herbe également et de cette sorte, quelque grand que soit le vent, il n'a aucune prise sur la cabane; ces couvertures durent vingt ans sans avoir besoin de réparations.
Literie
Les lits des indigènes sont élevés d'un pied et demi au-dessus de terre. Six petites fourches plantées portent deux perches traversées de trois bois sur lesquels on met des cannes si près les unes des autres que ce plancher est fort uni. La garniture de ces lits consiste en quelques peaux d'ours; un sac de peau rempli de barbe espagnole sèche tient lieu de traversin; une robe de bison les couvre assez bien dans un endroit aussi clos que le sont leurs habitations. Les lits sont disposés contre le mur autour de la cabane, les uns au bout des autres.
Les pirogues
Pour construire les pirogues avec lesquelles les sauvages des bords du Mississipi et de ses affluents parcouraient le fleuve jusqu'aux Illinois, où les canots d'écorce des Canadiens descendaient, ils se servaient du cyprès. C'est, après le cèdre, le bois le plus précieux produit par la Louisiane. S'il n'est pas incorruptible, il faut du moins une longue suite d'années pour le pourrir. Cet arbre s'élève extrêmement droit et atteint douze brasses de tour. Il a peu de branches, ses feuilles sont très longues et menues et l'on voit sortir de son pied des côtes qui lui servent de contreforts. Son bois est d'une belle couleur tirant sur le rouge; il est tendre, léger et uni. Il ne se fend pas de lui-même, mais facilement et sans peine sous l'outil de l'ouvrier; quoique employé presque vert, il ne travaille jamais.
Les pirogues se font d'un seul tronc. Pour, cela, on jette à bas un arbre que l'on fait tomber sur un lit de bois et de cannes. On met ensuite dessus le côté du cyprès qui doit faire le dessous de l'embarcation; on trace dans le milieu un trait de ligne et un autre irait de chaque côté sur le bord à distance égale; après quoi, on forme le dessous et les deux bouts. On fait encore· dans le dessous des trous avec une vrille de la profondeur que la pirogue doit avoir d'épaisseur.
On retourne l'arbre comme la barque doit être (et comme si elle était déjà à l' eau]), on dresse le dessus, on creuse en prenant bien garde de n'ôter du bois que jusqu'aux trous de vrille qui marquent l'épaisseur du fond de la pirogue; ces trous se bouchent ensuite avec des chevilles. Ces pirogues ont jusqu'à quarante pieds de long sur trois de large, et trois pouces d'épaisseur, ce qui les rend très pesantes. Elles portent douze personnes.
Pour les faire avancer les naturels se servent d'une petite rame ou pagaie de six pieds de long.
C'étaient, on le conçoit, des embarcations que de nombreux rameurs pouvaient seuls mettre en mouvement. Elles avaient le grand avantage de résister aux chocs sur le fleuve, dont les eaux charriaient souvent des troncs d'arbres contre lesquels les canots d'écorce canadiens risquaient de se crever.
Le feu
Ces pirogues étaient creusées avec le feu, mais 'il fallait d'abord l'allumer, et le procédé employé pour y parvenir, s'il était un peu long, ne manquait pas d'originalité ; il a été retrouvé du reste chez plusieurs peuplades d'autres parties du monde, comme le silex, les flèches et les armes de pierre :
Le sauvage prend une petite branche morte et séchée sur l'arbre, de la grosseur du doigt; il la tourne avec violence en l'appuyant d'un bout sur un bois mort et non pourri jusqu'à ce qu'il voie sortir un peu de fumée. Alors, ramassant dans le trou la poussière que ce frottement-a produit, il souffle doucement; le-feu y prend; il y joint de la mousse bien sèche, quelques matières inflammables, et le brasier est allumé.
Les animaux
Les animaux, dont la chasse fournissait presque toute la nourriture des tribus de la vallée du Mississipi, étaient le bison, le cerf, le chevreuil et quelques oiseaux comme les canards, les dindons et les pigeons ramiers; 'les ours, les loups, les kinkajous, les lynx, les renards étaient leurs dangereux-ennemis.
Les animaux dangereux
Le Page du Pratz en dépeint ainsi quelques-uns :
« Le bison est de la taille de nos plus gros bœufs, quoiqu'il paraisse la surpasser à cause de sa laine longue et très frisée et qui le rend à l'œil beaucoup plus gros qu'il n'est en effet. Cette laine est fine et épaisse, de couleur marron foncé, ainsi que les crins qui sont pareillement frisés et si longs que le plus souvent le toupet qui est entre les cornes de cet animal tombe sur ses yeux et l'empêche de voir 'ce qui est devant lui; mais il a l'ouïe et l'odorat si fins que l'un supplée à l'autre. Il a une bosse assez considérable dans l'endroit où le col se joint aux épaules; ses cornes sont grosses, courtes et noires ; il a de même les sabots noirs.
« Le bison est la viande principale des naturels. Le meilleur morceau, extrêmement délicat, est la bosse. On va à la chasse de cet animal dans l'hiver, eto n s'écarte de la basse Louisiane et du fleuve parce qu'il ne peut y pénétrer, à. cause de l'épaisseur des bois, et que d'ailleurs il aime la grande herbe des prairies qui ne se trouve que dans les terres hautes. Pour l'approcher et le tirer, on va contre le vent, et on vise au défaut de l'épaule, afin de I' abattre du premier coup, car s'il n'est que blessé il court sur l 'homme. Dans cette chasse, les naturels ne tuent guère que les vaches, ayant éprouvé que la chair des mâles sent le bouquin. Il n'y a du reste que peu de taureaux dans le quartier des Natchez.
La vie dans les plaines
Plus au nord, au delà des Arkansas, l’on trouve des plaines à perte de vue, prairies immenses entrecoupées de bosquets et petites forêts où les bisons abondent; on y rencontre également des cerfs; les uns et les autres vont par troupes quelquefois de cent cinquante; les chevreuils y sont aussi très communs. Les bœufs isolés deviennent souvent la proie des loups. Il est vrai que ces carnassiers ne trouveraient pas leur compte à les attaquer lorsqu'ils sont en troupeau; les bœufs et les vaches se rangent alors en rond, les plus forts dehors, les plus faibles en dedans: les forts assez près les uns des autres présentent les cornes à l'ennemi qui n'ose les aborder dans cette disposition ; mais les loups, comme tous les autres animaux, ont leur instinct particulier pour se procurer la nourriture nécessaire.
Ils s'approchent de telle façon que les bœufs les sentent de loin, ce qui les fait fuir; ils avancent toujours d'un pas assez égal, jusqu'à ce que voyant le plus gras essoufflé, ils l'attaquent devant et derrière; un des loups finit par le saisir, et les autres l'étranglent.
Lorsque les sauvages veulent faire rôtir la viande du bison pour la manger sur place, ce qui n'arrive guère qu'au temps de la chasse, ils en coupent un morceau, ordinairement du filet, et le mettent au bout d'une broche de bois plantée en terre et inclinée vers le feu ; ils tournent cette broche de temps en temps, ce qui assure la régularité de la cuisson. Pour la conserver, ils font boucaner la chair des cuisses, des épaules et des endroits les plus charnus excepté la bosse et la langue, qu'ils mangent toujours sur place.
La chair que l'on boucane est coupée à plat, afin qu'elle cuise bien, exposée sur un gril en bois sous lequel brûle un feu de branches d'arbre. La viande rôtie et séchée peut se porter partout et se conserver longtemps.
Le cerf est entièrement semblable à celui de France, mais plus gros. On n'en trouve que dans la haute Louisiane, où -lesLois son] plus Clairs que dans la basse et où la châtaigne, que cet animal aime beaucoup, est abondante.
La chasse au chevreuil
« Le chevreuil est très commun, malgré le nombre que les naturels en tuent. Le chasseur qui va seul à sa recherche se munit à cet effet d'une tête de chevreuil séchée, la cervelle ôtée et la peau du col tenant à la tête. Cette peau est garnie de cercles faits de clisses de cannes et ces cercles sont retenus en place avec d'autres clisses allongées vers la peau, en sorte que la main et e Mas ;peuvent y entrer aisément. Les choses ainsi disposées, le chasseur va dans les endroits où il pense qu'il peut y avoir du chevreuil, et prend les précautions nécessaires pour ne point être découvert. Aussitôt qu'il en voit un, il s'en approche à pas de loup en se cachant d'une broussaille à une autre jusqu'à ce qu' il en soit assez près pour le tirer; mais si avant tout cela, le chevreuil secoue la tête, ce qui est signe qu'il va faire quelques cabrioles et courir plus loin, le chasseur, prévenu de sa manie, contrefait cet animal en faisant le même cri qu'ils poussent, qu'ils, s'appellent entre eux, ce qui très souvent ramène la bête vers l'homme; alors celui-ci montre en l'élevant la tête qu'il tient en sa main et lui fait faire les mouvements d'un chevreuil qui broute et qui regarde au loin de temps en temps. Le chasseur en attendant, se tient caché derrière la broussaille jusqu'à ce que l'animal se soit approché à la portée du fusil.
«Lorsque les Natchez veulent faire la danse du chevreuil, ils partent à la recherche de l'animal. Dès qu'ils l'ont aperçu, la troupe l'approche en croissant très ouvert. Le fond du croissant s'avance jusqu'à ce que le chevreuil fasse quelques sauts et prenne la fuite. Se voyant devant une troupe d'hommes, il court assez souvent 'vers une des pointes du croissant. Cette pointe l'arrête, lui fait peur et le renvoie ainsi vers l'autre pointe qui est à un quart de lieue de là; elle en fait autant que la première et le lui renvoie.
« On continue ce jeu assez Iongtemps pour exercer les jeunes gens. Quelquefois le chevreuil cherche à sortir du croissant par l'ouverture des pointes; mais alors ceux qui sont tout à fait à la pointe se présentent pour le faire rentrer et le croissant s'avance pour le tenir toujours enfermé. De cette manière, il arrive souvent que les hommes n'ont pas fait une lieue de chemin, tandis que le chevreuil en a parcouru plus de vingt par les différents tours qu'on lui a fait faire d'un côté à l'autre. Enfin tous les chasseurs se joignent un peu plus et ne font qu'un cercle lorsqu'ils s'aperçoivent que l'animal est fatigué. Alors, ils s'accroupissent presque à terre quand le chevreuil vient de leur côté, et aussitôt qu'il arrive auprès d'eux, ils se relèvent en criant et se le renvoient de l'un à l'autre bout, tant que le chevreuil peut se soutenir. Enfin, n'en pouvant plus de fatigue, les jambes lui manquent, il tombe et se laisse saisir comme un agneau.
Les ours
« Les ours venant des forêts du Canada arrivent, ordinairement, vers la fin de l'automne. Ils sont maigres alors parce qu'ils ne quittent le Nord que quand la terre, trop couverte de neige, ne leur fournit plus les fruits dont ils font leur nourriture; d'ailleurs dans la route ils n'ont point trop de temps pour manger et sont obligés souvent de faire beaucoup de chemin sans trouver des mets convenables en quantité suffisante. C'est donc lorsque leur instinct leur a fait connaître qu'ils n'ont plus de neige à craindre qu'ils se repaissent à l'aise des fruits qu'ils trouvent...
« Après un séjour de quelque temps dans le pays et avoir mangé des fruits en abondance, les ours sont gras et c'est alors que les naturels vont leur donner la chasse. Ils savent qu'en cet état ces animaux se cabanent dans de vieux troncs d'arbres morts sur pied et dont le cœur est pourri. Les sauvages vont faire leur tournée dans les bois; ils visitent ces sortes de troncs. S'ils voient que des griffes sont marquées sur l'écorce, ils sont assurés qu'il y a un ours en cet endroit.
Cependant pour ne point se tromper dans leurs conjectures, ils frappent un coup assez fort contre le pied du tronc, puis courent rapidement se cacher derrière un-autre arbre. S'il y a un ours, il entend le coup qui fait frémir le tronc. Il monte alors jusqu'à la brèche pour voir quel importun vient troubler son repos. Il regarde au dehors et, n'apercevant rien, il retourne au fond de sa demeure, mécontent sans doute de s'être dérangé pour une fausse alarme.
« Les naturels, ayant vu la proie qu'ils se persuadent bien ne point pouvoir leur échapper, amassent des cannes mortes qu'ils écrasent afin qu'elles brûlent plus facilement. Ils en font un paquet que l'un d'eux porte sur un arbre le plus voisin avec du feu; ses compagnons se mettent en embuscade sur d'autres arbres. Celui qui a le feu allume une de ces cannes et lorsqu'elle est bien enflammée, il la lance comme un dard dans le trou de l'ours. S'il ne réussit point la première fois, il recommence. Lorsqu'il y a assez de feu dans le tronc pour allumer le bois pourri dont il est garni, l'animal, qui n'est point amateur d'une chaleur si vive, sort en reculant et abandonne sou gîte. à l'ardeur des flammes. Les chasseurs le tirent alors et avec tant de promptitude que souvent il est tué avant d'avoir pu se rendre au bas du tronc.
« Cette chasse ne laisse pas d'être dangereuse, car si l'ours n'est que blessé, il court sur les chasseurs, serre entre ses pattes celui qu'il peut atteindre et l'étouffe ou le déchire en un instant de ses dents et de ses griffes. Il y en a de la taille d'un cheval, et si forts qu'ils cassent aisément un arbre gros comme la cuisse;
« Aussitôt l'ours tué, quelques-uns des chasseurs vont à la chasse au chevreuil. Lorsqu'ils en ont abattu un, ils lui coupent la tète, écorchent ensuite le col en roulant la peau comme on ferait un bas et déchiquettent la chair et les os à mesure qu'ils avancent. Cette opération ne laisse pas d'être laborieuse parce qu'il faut sortir toute la chair et les os par le col, afin de faire un sac de cette peau.
Ils la coupent aux jarrets et autres endroits où il se trouve des issues. Quand toute la peau est vidée, ils la raclent et la nettoient, puis ils font une espèce de mastic avec du suif du même chevreuil et un peu' de cendres fines; ils en mettent autour des orifices qu'ils serrent extrêmement fort avec de l'écorce de tilleul, et laissent seulement le col pour entonner l'huile d'ours. C'est ce que les Français nomment un faon d'huile. Les naturels mettent la chair et la graisse cuire ensemble afin que l'une se détache de l'autre.
Ils font cette cuisson dans des pots de terre de leur façon ou dans des chaudrons, s'ils en ont. Quand cette graisse est tiède, ils la mettent dans le faon. Ils cèdent ce faon d'huile aux Français pour un fusil ou une aune de drap.
Le loup des prairies
« Le loup des prairies de la Louisiane n'a que quinze pouces de hauteur, et une longueur proportionnée; son poil n'est pas aussi brun que celui d'Europe, et il est moins farouche et moins dangereux, aussi ressemble-t-il plutôt à un chien, mais il n'aboie pas.
Il est très commun dans les pays de chasse, et lorsque le chasseur se cabane le soir sur le bord d'une rivière, s'il en aperçoit il peut être assuré que les bœufs ne sont pas loin. On dirait que cet animal, qui ne peut attaquer le bison en troupeau, vient avertir de sa présence pour qu'on le tue, afin d'en avoir la curée.
« Les loups sont très familiers, et vont et viennent de tous côtés pour trouver: à manger, sans s'embarrasser s'ils sont ou non près des habitations. Deux coureurs des bois, que l'on désigne sous le nom de voyageurs, s'étant cabanés seuls sur le bord du fleuve, avaient déchargé leur pirogue parce qu'il pleuvait; après qu'ils eurent bien couvert leurs marchandises, ils se couchèrent. Ceux qui campent ainsi ont coutume, toutes les fois qu'ils se réveillent, d'aller à leur embarcation pour, voir si elle n'a pas été détachée
Par une vague ou quelque coup de vent. Un des voyageurs s'étant éveillé, se rendit à la pirogue, mais quelle fut sa surprise de ne la plus apercevoir! Cet accident était d'autant, plus fâcheux, qu'ils se trouvaient alors écartés de plus de cinquante lieues de toute habitation. Consterné, il appelle son camarade et tous deux regardent de tous côtés sur le fleuve; il faisait heureusement clair de lune, ils aperçurent au loin le canot qui s'en allait au courant. L'un d'eux retire aussitôt sa chemise, met une ceinture . !le
dans laquelle il passe son casse-tête et se jette à la nage. Au moment où il rejoint la pirogue, autre étonnement: il y aperçoit un loup, ce qui ne l'empêche pas de monter promptement à l'abordage.
Le loup n'attendit pas la bataille; il sauta dans le fleuve et disparut bientôt aux yeux du Canadien, qui ramena la pirogue au cabanage. Lorsque les deux voyageurs voulurent l'amarrer, ils virent que l'attache était mangée. Dans ces temps nouveaux de la colonie les cordes étaient rares, et ils s'étaient servis comme amarre d'une longue courroie de peau de bœuf; le loup rôdant aux alentours était descendu dans la pirogue et n'y ayant trouvé rien à manger, avait senti cette attache de cuir; il l'avait rongée et s'était vu emporter par le courant lorsque la courroie, coupée, n'avait plus retenu le canot à la berge.
« Les renards sont en aussi grand nombre que les loups; sur les coteaux boisés on ne voit autre chose que leurs tanières. Comme ils trouvent dans les bois du gibier en abondance, ils n'inquiètent pas la volaille, qu'on laisse courir en liberté. Ils sont pareils comme taille à ceux de France, mais leur peau est beaucoup plus belle. Le poil en est fin, épais, et sa couleur d'un brun foncé.
« Le chat sauvage, le lapin, l'opossum ou rat des bois, l'écureuil, le raton sont également communs, et à défaut d'autre gibier servent d'aliment aux chasseurs.
« Parmi les oiseaux, les dindons sont plus beaux, plus gros et meilleurs que ceux de France. Les naturels font plusieurs ouvrages de leurs plumes. Les pigeons ramiers sont en si prodigieux nombre que quelquefois leur multitude dérobe la clarté du soleil. Ces oiseaux ne viennent à la Louisiane que pendant l'hiver, et restent l'été au Canada, où ils se nourrissent de graines, comme ils mangent des glands à la Louisiane 1. »
Les coutumes de la guerre
Ces quelques détails donnés sur les animaux dont les indigènes se nourrissaient, ainsi que les Français trop souvent réduits par la famine à se réfugier dans leurs bourgades, voyons quelles étaient les coutumes de ces sauvages. C'est encore Le Page du Pratz qui va nous édifier à cet égard en dépeignant ce qu'il a vu chez les peuplades au milieu desquelles il a séjourné.
La déclaration de guerre
Lorsqu'une nation veut déclarer la guerre à une autre, le conseil de guerre se réunit; il est composé des plus vieux et des meilleurs combattants. A la porte de la cabane où ils vont délibérer est plantée une perche au bout de laquelle est attaché le calumet de guerre.
Le motif de l'entrée en campagne, insulte des ennemis, incursions de leur part sur le territoire de chasse, est exposé par le grand chef de guerre qui n'oublie rien pour exciter sa nation. Il y est d'autant plus intéressé qu'il n'est pas, à beaucoup près, aussi respecté pendant la paix que pendant la guerre.
1. Leur nombre au Canada était si considérable, et les dommages qu'ils causaient aux récoltes,tellement grands, que l'évêque de Québec les excommunia solennellement.
Sur son exposition, les vieux guerriers agitent les questions en présence du grand chef. Celui-ci, de même que le grand chef de guerre, n'est que témoin, car l'opinion des vieillards prévaut toujours sur celle des deux chefs, qui y souscrivent volontiers par le respect qu'ils ont pour l'expérience et la sagesse des anciens de la tribu.
La résolution de la guerre étant prise, les plus habiles vont à la chasse et rapportent le gibier chez le grand chef de guerre pour faire le festin, qui doit durer trois jours ainsi que la danse.
Le repas étant préparé, tous les guerriers s'y rendent. Ils sont matachés, c'est-à-dire peints de différentes couleurs, depuis la tête jusqu'aux pieds. Ils n'ont pour tout vêtement qu'une ceinture où passe le brayer, et qui est garnie de grelots et de sonnettes, lorsqu'ils peuvent en avoir des Français; de sorte que quand ils marchent ils ressemblent plutôt à des mulets qu'à des hommes.
Quand ils n'ont ni sonnettes ni grelots, ils attachent à leur ceinture des coloquintes sèches dans lesquelles ils mettent une douzaine de petits cailloux.
A cette ceinture est passé le casse-tête, en bois dur d'une seule pièce, ayant la forme d'une lame de coutelas, large de deux pouces et demi, et long d'un pied et demi; il a un taillant et un dos, vers le bout duquel est une boule de trois pouces de diamètre. 1
Ils tiennent de la main gauche un bouclier fait de deux morceaux de cuir de bœuf ronds cousus ensemble, d'un pied et demi de diamètre; de la main droite un arc de bois d'acacia -tendu avec une corde faite de peaux d'animaux trempées et tordues; les flèches, aux pointes en os, sont enfermées dans un carquois qui est un sac de peau.
Le repas de guerre a lieu dans une prairie dont l'herbe est coupée sur un assez grand espace, Chacun s'y rend armé.
Le calumet est planté au milieu de l'assemblée au bout d'une perche de sept à huit pieds de haut; les mets, placés dans des plats de bois creusé, sont rangés en cercle autour. Au milieu, dans le plus grand, au pied du calumet, est déposé un gros chien rôti tout entier.
Les autres plats sont disposés de trois en trois, en cercle. Dans l'un est du gruau cuit dans du bouillon gras destiné à servir de pain; le second contient de la viande de chevreuil bouillie; le troisième, du chevreuil rôti. Entre chaque groupe de trois plats un espace vide est laissé pour permettre aux convives de passer et d'aller prendre du chien, par lequel on commence le festin.
La harangue préliminaire
Avant le repas, tous lès guerriers étant assemblés, le plus vieux, hors d'état de suivre les autres à la guerre à cause de son grand âge, prend le calumet de guerre, rappelle ses hauts faits et encourage ceux qui vont partir à combattre vaillamment.
Cette harangue achevée, il emplit de tabac le calumet, et le donne à fumer au grand chef de guerre, puis à tous les autres suivant leur rang. Les jeunes gens' qui n'ont point encore été à la guerre viennent aussi fumer comme pour s'enrôler dans cette milice. Le vieux guerrier fume le dernier et remet le calumet à la perche. .
Le repas préparatoire
Après cette cérémonie, le grand chef de guerre va prendre un morceau de viande de chien. Les autres l'imitent et, sortant du cercle des plats, mangent en marchant sans cesse, pour signifier qu'un bon guerrier doit être continuellement en action et sur ses gardes.
Lorsque le repas est commencé, un des jeunes gens va à deux ou trois cents pas derrière une broussaille avec ses armes, et pousse le cri de mort. Sur-le-champ, tous les guerriers prennent leurs armes et courent du côté d'où le cri est venu. Lorsqu'ils sont près de l'endroit, le jeune guerrier sort et fait entendre de nouveau le cri de mort, auquel tous répondent par le même cri. Ils reviennent ensuite ramasser leur viande qu'ils avaient jetée sur l' herbe.
Le même fait se reproduit deux autres fois; ensuite on apporte la boisson de guerre. Elle est faite d'une quantité de feuilles d'apalachine, arbrisseau dont le bois ne croît point au-dessus de quinze pieds et qui porte une grappe dont les merles, geais et autres oiseaux sont très friands. La feuille, prise en guise de thé, est bonne pour l'estomac. Les sauvages, pour avoir une boisson qui enivre, la font bouillir longtemps et diminuent ainsi la liqueur, qui a d'autant plus de force qu'elle est plus réduite.
Le repas fini, on va au poteau derrière lequel on plante la perche du calumet. Tous les guerriers se groupent à cinquante pas de ce poteau qu'ils font ressembler le plus possible à un homme, surtout pour la grosseur de la tête, et qu'ils teignent en rouge. Ils vont tour à tour le frapper; le premier qui s'y rend prend son casse-tête et court de toutes ses forces en poussant le cri de mort lorsqu'il y arrive. Il lui donne un coup de casse-tête, chante ses exploits et insulte le bois qui représente l'ennemi. A la fin de son discours il a grand soin de prononcer la dernière syllabe de toute la force de ses poumons, à quoi les autres répondent par un grand 'hou tiré du fond de l'estomac. Dans tout ce que racontent ces guerriers les uns après les autres auprès de ce poteau, il y en a qui, échauffés par la boisson, en disent plus qu'ils n'en ont fait, mais ils se pardonnent mutuellement ces fanfaronnades.
Lorsque tous les sauvages ont frappé le poteau, ils font la danse de la guerre, les armes à la main.
Le repas et la danse durent trois jours de suite; après lesquels le départ s'effectue. Les femmes, pendant ce temps, préparent des vivres pour leurs maris; les vieillards s'occupent à rougir les casse-têtes et à graver l'écorce sur laquelle est le signe hiéroglyphique de la nation qui attaque.
Leur manière de faire la guerre est la surprise: le coup frappé, ils s'enfuient et regagnent leurs bourgades. En voici, entre autres, deux exemples.
Premier exemple d’ une attaque des Indiens par surprise
A une quarantaine de lieues au-dessus des Natchez, sur la rivière des Yasous, les Français avaient établi un petit fort, gardé par une compagnie, avec deux sergents sous les ordres d'un capitaine.
Plusieurs engagés cultivaient les terres aux alentours. Ce poste était avantageux pour le commerce avec les peuplades de la contrée, et le débarquement s'y trouvait aisé; mais on était à une assez faible distance des Chicassas, nation guerrière, avec laquelle nous avions déjà eu diverses rencontres, et à laquelle les Anglais de la Virginie fournissaient des fusils et des munitions. Comme on n'avait pas eu affaire à ces sauvages depuis un certain temps, et qu'on pouvait s'estimer à l'abri d'une agression de leur part, les deux sergents de la garnison crurent pouvoir faire chacun sans danger une cabane dans un terrain de leur choix; malgré les avis réitérés qu'on leur donna, profitant de la complaisance des officiers, ils y couchaient toutes les nuits. Ces deux sergents étaient mariés; l'un était le sieur des Noyers; le second se nommait Riter, il était plus éloigné du fort que le premier.
Pendant une nuit tranquille, un parti de dix à douze Chicassas s'approcha de la cabane du sieur Riter, qui était endormi, ainsique sa femme et leur fils, âgé de treize ans. Ces sauvages, arrivés près de la porte, l'ouvrirent et entrèrent doucement dans la cabane; mais, malgré leurs précautions, le sergent réveillé se saisit d'un fusil, le seul qui ne fût point chargé de huit qu'il y avait dans la cabane. Il cria plusieurs fois: Qui va là? N'entendant aucune réponse, il voulut tirer; mais l'arme ne partit point. Les Chicassas alors, sans lui donner le temps d'en prendre une autre, se jetèrent sur lui, l'assommèrent d'un coup de casse-tête, lui levèrent la chevelure et le laissèrent pour mort, baigné dans son sang. Les autres s'emparèrent de la femme, qui eut le temps, avant d'être prise; de se munir d'un grand couteau à gaine qu'elle coula dans sa manche. Ils l'emmenèrent pour la faire esclave dans leur nation; deux de ces barbares la traînèrent sur le chemin pour y attendre les autres.
Le bruit qui se faisait dans la cabane réveilla le fils du sergent Riter, qui se leva et courut en chemise vers le fort en criant de toutes ses forces : « Au secours, les ennemis tuent mon père et ma mère! » Un Chicassa poursuivit cet enfant et l'approcha d'assez près pour lui tirer une flèche qui lui perça le poignet . Le jeune homme contrefaisant le mort, le Chicassa s'approcha pour lui lever la chevelure à la hâte. Il eut la constance de se la laisser tirer partie par partie, la peau étant encore trop tendre pour être levée entière. Le même ennemi voulut, en outre, lui couper la gorge; mais l'enfant fut assez heureux pour n'avoir que la peau entaillée; sa persévérance lui sauva la vie. Le sieur des Noyers, dont I' habitation n'était pas éloignée, s'éveilla au bruit; il tira un coup de fusil, cria aux armes, et mit ainsi l'alerte au fort.
La femme du sergent Riter était cependant avec ses deux gardiens dans une ravine. Elle crut son mari et son fils morts; elle entendait venir les autres Chicassas. Ne voyant plus aucune ressource pour leur échapper et n'étant gardée que par deux hommes, elle résolut de s'en défaire : avec son couteau elle abattit le premier; le second évita le coup mortel et ne fut atteint qu'à la cuisse. Il cria; les autres arrivèrent à l'instant ; alors celui qu'elle avait
blessé la tua et s'enfuit avec ses compagnons.
De son côté, la garnison sortit et courut au bruit. On rencontra l'enfant que des soldats portèrent au corps de garde; les autres allèrent au plus vite à la cabane du sergent, qu'ils trouvèrent étendu par terre, nu, sans chemise : il avait perdu connaissance par la quantité de sang qui avait coulé de ses plaies. On fit à la hâte un brancard, sur lequel on le porta au fort, où il mourut quelques jours après.
Le détachement, ne trouvant point la femme du sieur Riter, poursuivit les ennemis qui fuyaient et laissaient après eux une partie des effets emportés de la cabane de ce sergent; pour mieux courir, ils abandonnèrent ainsi presque tout leur butin. Enfin, au retour, on découvrit les corps de la dame Riteret de celui qu'elle avait tué; maison leur, avait levé la chevelure à tous deux, parce que ce sont des trophées ,que l'on n'a garde de laisser à l'ennemi.
Un Illinois ayant vu revenir les Français sans dépouilles des sauvages et sans autre avantage que celui de les avoir chassés, demanda de la poudre et des balles. On lui en fournit. Il partit avec son fusil et quelques vivres et se mit à la recherche des Chicassas. Il en atteignit trois qui n'avaient pu suivre les autres parce que l'un d'eux était celui qu'avait blessé la dame Riter; il avait beaucoup de peine à marcher, et pour ce motif deux de ses camarades l'accompagnaient. L'Illinois les épia jusqu'au soir. Il se tint caché toute la nuit à quelque distance de leur cabanage; puis, au point du jour, il tomba sur eux à l'improviste, tua les deux Chicassas valides ainsi que le blessé, leva les trois chevelures et vint les remettre au commandant du fort.
Autre exemple d’ une attaque par surprise
mais cette fois elle leur coûta cher.
Un Canadien, nommé Rodot, avait été attiré à la Louisiane par les récits qu'on lui avait faits de cette colonie. C'était un homme d'un caractère à la fois énergique et bon, d'une taille de six pieds, d'une force et d'une adresse exceptionnelles; il était renommé à cet égard parmi les coureurs des bois. Ayant descendu le Mississipi, il trouva le pays si beau qu'il résolut d'y finir ses jours avec son père, qu'il aimait tendrement. Il retourna donc au Canada pour engager le vieillard à venir avec lui; il Y réussit et le conduisit heureusement jusque dans le grand fleuve. Ils se croyaient alors hors de tout danger. Rodot avait amené un ami qui les accompagnait. Le soir les prit aux Ecores à Prudhomme; ils mirent pied à terre, se cabanèrent, firent du feu, ajustèrent la marmite, prièrent le père d'en avoir soin et le laissèrent seul.
Comme Hodot savait que le pays était plein de gibier, il emmena son ami à la chasse. Les Chicassas qui étaient dans les environs furent attirés au cabanage par la fumée qui le décela. Ils arrivèrent à pas de loup, surprirent le vieillard sans armes, firent à la hâte des ballots du bagage de nos voyageurs et contraignirent le malheureux à marcher, pour lui infliger le dernier supplice à leur village. .
Le fils, voyant la nuit approcher, revint avec son ami au cabanage dont ils n'étaient pas éloignés; mais quel fut leur étonnement de le trouver vide. La douleur de Rodot fut extrême; mais sans perdre de temps en lamentations inutiles, ils partirent armés de leurs fusils et de leurs casse-têtes. Suivant la piste dans le bois pendant le peu de jour qui leur restait, ils virent de loin les ravisseurs et marchèrent sur leurs traces en évitant de se découvrir. Ils les distinguèrent assez bien pour en compter treize. C' est le moment où les hommes dorment le mieux quand ils ont été inquiets pendant la nuit, comme ceux-ci devaient l'être.
A peine le point du jour parut-il que, laissant leurs fusils et leurs munitions, Rodot et son ami prirent leurs casse-têtes et se coulèrent près des ennemis dont le feu les guidait. Dès qu'ils arrivèrent ils s'écrièrent: «Tenez-vous couché! » ce que fit le vieillard captif, et ils assommèrent les Chicassas au fur et à mesure qu'ils levaient la tête. Ils agirent avec tant de promptitude que pas un des ennemis n'eut le temps de prendre une arme pour sa défense.
Tous furent mis à mort dans le même instant. Le cœur enivré de joie à la vue du vieux Canadien délivré et sans autre mal que la fatigue d'avoir marché trop vite avec ceux qui l'entraînaient, les Français firent des paquets de tout le butin qu'ils emportèrent jusqu'à leur canot.
Lorsque dans leurs courses sur les terrains de l'ennemi les sauvages avaient surpris quelque poste ou habitation, ils massacraient ceux qui résistaient, emmenaient les hommes qu'ils pouvaient prendre vivants pour les torturer dans leurs bourgades, et les femmes et enfants qu'ils gardaient ou vendaient comme esclaves.
Le supplice des prisonniers est ainsi décrit par un témoin:
« Les sauvages forment un cadre composé de deux perches droites solidement plantées dans le sol à un bon pas de distance l'une de l'autre. Ils les maintiennent par deux autres perches placées la première à deux pieds "au-dessus de terre, l'autre à cinq pieds. Ces perches sont liées ensemble le plus fortement qu'ils peuvent. Le patient est attaché au pied du cadre, et dès qu'il est là il chante sa chanson de mort jusqu'à ce qu'on lui lève la chevelure. Chacun peut le voir, mais il n'est pas permis de lui parler ou de l'insulter.
« Lorsque les guerriers ont achevé leur repas, on détache le malheureux, on le fait avancer et tourner afin que le peuple puisse le voir; puis, celui qui l'a pris lui donne un coup de casse-tête derrière la tête. L'ayant ainsi étourdi, il lui coupe la peau autour des cheveux, appuie le genou sur son front, prend les cheveux à pleine main, dépouille le crâne et jette le cri do mort en levant la chevelure le mieux qu'il peut sans la déchirer. Après ce bel exploit, ils attachent une corde à chaque poignet du malheureux, jettent les bouts des cordes sur la traverse d'en haut; plusieurs les prennent et tirent pour enlever la victime tandis que d'autres la soulevant, lui mettent les pieds sur la traverse du bas et les lui attachent aux coins du cadre; ils en font autant aux mains aux coins du cadre d'en haut, de sorte que le patient en cet état a le corps libre et tout nu, et les quatre membres forment une croix de Saint-André.
« Dès le temps que l'on commence à lever la chevelure au prisonnier, les jeunes gens vont chercher des cannes sèches, les écrasent et en font des fagots qu'ils lient en plusieurs endroits; ils apportent aussi d'autres cannes sèches qui ne sont ni écrasées, ni liées, avec lesquelles les guerriers s'exercent sur le patient.
« Celui qui l'a pris saisit le premier une seule canne écrasée, l'allume, et brûle l'endroit qu'il juge à propos. Un autre vient qui le brûle ailleurs; ceux-ci, avec leurs pipes remplies de tabac séché et embrasé lui brûlent une partie du pied; ceux-là font rougir un clou avec lequel ils le lui percent; tous enfin, les uns après les autres, exercent leur cruauté sur le patient. Celui-ci, tant qu'il lui reste des forces, les emploie à chanter sa chanson de mort qui équivaut aux cris douloureux, aux pleurs et aux gémissements.
On en voit qui souffrent et chantent continuellement pendant trois jours et trois nuits sans qu'on leur donne un verre d'eau pour se désaltérer. Il n'est permis à qui que ce soit de leur en apporter quand même ils en demanderaient, ce qu'ils ne font jamais, sans doute parce qu'ils savent que le cœur de leurs ennemis est inflexible. »
Religion
Comme religion, les peuplades de la vallée du Mississipi paraissent avoir adoré principalement le soleil et le feu. Chez les Natchez en particulier, il y avait un temple fort admiré des sauvages pour sa grandeur; sa hauteur était de trente pieds; il mesurait vingt toises en carré à l'intérieur; rondes en dehors, ses murailles avaient trois toises d'épaisseur; il était bâti avec des troncs de noyers, gros comme la cuisse par en bas, et tous d'une même hauteur. Dans cet édifice brûlait un feu continuellement entretenu; c'était le soleil qu'il représentait selon les Natchez, et ils l'adoraient. C'est pourquoi tous les matins au lever de l'astre, et le soir au soleil couchant, ils faisaient un feu devant la porte du temple.
Le bois qui servait à entretenir le feu à l'intérieur était du chêne ou du noyer dont on avait enlevé l'écorce. Les bûches avaient toutes une longueur de huit pieds, elles étaient coupées au commencement de chaque lune; Ce feu, à la conservation duquel huit « hommes sages» étaient préposés deux par deux, avait, d'après les indigènes; une origine divine, et son extinction devait déchaîner sur la nation les plus terribles fléaux. Il avait été fourni la pre-mière fois par un grand guerrier qui disait descendre du soleil, et que les Natchez choisirent pour chef; c'est pour cela qu'ils donnaient au chef de la nation le titre deSoleil.
Le Page du Pratz, qui vivait au milieu des gens de cette tribu, leur expliqua un jour, à leur grand étonnement, qu'il lui serait facile de leur procurer: du feu provenant directement du soleil, ce qui leur permettrait d'éviter les graves conséquences qu'ils redoutaient en cas de négligence des gardiens du feu sacré.
« J'avais chez moi deux loupes, dit-il, et j'étais certainement le premier Français qui en eût apporté à la Louisiane. Je pris la plus petite avec un morceau d'amadou tel que les naturels le préparent; je mis l'amadou au foyer du verre, puis prononçai d'un ton ferme le mot Coheuch, qui signifie: « Viens,»comme si j'eusse commandé au feu de descendre. Un instant après l'amadou fuma; je soufflai, et le feu parut, au profond étonnement du grand Soleil et de toute sa suite, dont une partie tremblait; leur chef ne paraissait guère plus rassuré, L'amadou étant en cendres sur le copeau où je l'avais allumé, il me pria de le lui remettre. Je le lui donnai avec le copeau.
« Il me demanda si un autre homme que moi pourrait recommencer ce qu'il m'avait vu faire avec cette machine. Je lui répondis que oui, et que, s'il voulait, je lui ferais faire la même opération. Il me dit qu'il le voudrait bien, mais qu'il appréhendait de gâter cet instrument. Je le rassurai de telle façon qu'il se détermina à en faire l'épreuve lui-même. Je mis donc un autre morceau d'amadou sur un copeau de bois de noyer. Je lui plaçai dans la main gauche ce copeau préparé, la loupe dans la main droite et lui tins les deux mains avec les miennes. Toutes choses ainsi disposées, je lui dis de parler comme j'avais fait pour faire descendre le feu du soleil. Il prononça, en effet, le mot Caheuch, mais il était si peu assuré qu'il bégayait plutôt qu'il ne parlait. Peu d'instants après le feu se déclara par la fumée, et la loupe et le copeau lui tombèrent des mains. Comme j'étais certain que la chose ne manquerait point d'arriver, je retins le tout et j'avoue que- j'eus bien de la peine à m'empêcher de rire. _
« Ma loupe, en raison de ses qualités', était pour 'ces peuples d'un grand avantage. C'était un moyen certain d'avoir du feu du soleil même pour rallumer le feu éternel si, par malheur, il venait à s'éteindre, de délivrer par là la nation d'une grande mortalité, de lui ôter même la crainte de cet événement funeste. Toutes ces raisons mûrement réfléchies firent sentir au grand Soleil de quelle importance lui était la possession de la loupe. »
En échange du merveilleux objet qui produisait le feu, le chef offrit au Français trois mille livres de maïs, vingt volailles, vingt dindons, et lui promit de lui faire remettre du gibier et du poisson toutes les fois que ses sujets lui en apporteraient, ce qui fut ponctuellement exécuté.
On comprend l'intérêt que trouvaient les coureurs des bois à' vivre chez ces nations et l'attachement que leur inspirait une existence au jour le jour, au milieu des forêts du Nouveau-Monde, sans souci du lendemain et des charges de la vie civilisée; mais leur présence dans certaines bourgades les rendait parfois témoins d'étranges cérémonies et de scènes de sauvagerie bien faites pour remplir d'épouvante et d'horreur ceux qui y assistaient. L'un d'eux nommé Pénicaut, originaire de la Rochelle, séjournant chez les Natchez, en vit un jour une dont il rend compte en ces termes:
« Il arriva de notre temps que la grande chef noble étant morte, nous assistâmes à la cérémonie des obsèques, qui est la plus horrible tragédie qu'on puisse imaginer. Cela nous fit frémir d'horreur moi et tous mes camarades. Elle était femme chef noble par elle-même.
Son mari qui n'était point noble fut aussitôt étranglé par le premier garçon qu'elle avait eu de lui, pour accompagner sa femme dans le grand village où ils croyaient aller. Après un si beau commencement on mit hors de la cabane du grand chef tout ce qui y était. Comme c'est l'ordinaire, on fit une espèce de char de triomphe où l'on mit la morte et son mari étranglé. Un moment après on apporta douze petits enfants que l'on avait étranglés et que l'on mit à l'entour de la morte. Ce furent les pères et les mères qui les y apportèrent par ordre deI' aîné des enfants de la femme chef morte, et qui alors, comme grand chef, commande autant de personnes qu'il veut faire mourir pour honorer les funérailles de sa mère. On fit dresser dans la place publique quatorze échafauds qu'ils ornèrent de branches d'arbres et de toiles remplies de peintures. Il se plaça sur chaque échafaud un homme qui devait accompagner la défunte en l'autre monde. Ils sont sur ces échafauds entourés de leurs parents les plus proches; ils sont prévenus quelquefois plus de dix ans avant leur mort. C'est un honneur pour leurs parents. Ils ont ordinairement offert leur mort du vivant de la défunte pour la bonne amitié qu'ils lui portaient et ce sont euxmêmes qui ont filé la corde avec laquelle on les étrangle. Ils sont habillés de leurs plus beaux habits, avec une grande coquille à la main droite, et le plus proche parent, par exemple, si c'est un père de famille qui meurt, son fils aîné, marche après lui, portant la corde sous son bras et un casse-tête dans sa main droite. Il fait un cri affreux qu'ils appellent le cri de mort. Alors tous ces malheureux de quart d'heure en quart d'heure descendent de leurs échafauds et se joignent au milieu de la place, où ils dansent ensemble devant le temple et devant la maison. de la femme chef morte, puis ils remontent sur leurs échafauds.se remettre à leur place. Ils sont fort respectés ce jour-là et ont chacun cinq domestiques. Leur visage est tout rouge de vermillon. Pour moi, j'ai cru que c'était afin de ne pas laisser paraître la peur qu'ils pourraient avoir de leur prochaine mort. Au bout de quatre jours ils commencèrent la cérémonie de la marche des cadavres. Les pères et les mères qui avaient apporté leurs enfants morts les prirent et les tinrent sur leurs mains. Le plus âgé de ces enfants ne paraissait pas avoir plus de trois ans. Ils se placèrent à droite et à gauche de la porte de la cabane de la femme chef morte. Les quatorze victimes destinées à être étranglées s'y rendirent dans le même ordre; les chefs et les parents de la morte y parurent de même en deuil, c'est-à-dire les cheveux coupés. Ils firent alors des hurlements si effroyables que nous crûmes que les diables étaient sortis des enfers pour venir hurler dans cet endroit. Les malheureux destinés à la mort dansèrent et les parents de la morte chantèrent.
« Quand on commença la marche deux à deux de ce beau convoi, on sortit de sa cabane la morte que quatre sauvages portaient sur leurs épaules comme sur un brancard. D'abord qu'elle fut sortie l'on mit le feu à la cahane. Les pères qui portaient leurs enfants morts sur leurs mains marchaient devant, à quatre pas de distance les uns des autres, et, au bout de dix pas de marche, ils les laissèrent tomber par terre. Ceux qui portaient la morte passaient par-dessus et faisaient trois fois le tour de ces enfants. Les pères les ramassaient et se remettaient en marche en leurs rangs, et de dix pas en dix pas ils recommencèrent cette affreuse cérémonie jusqu'à ce qu'on fût au temple; de sorte que ces enfants étaient par morceaux quand ce beau convoi y arriva. Pendant qu'on enterrait la femme noble dans le temple, les victimes furent déshabillées devant la porte, et après qu'on les eut fait asseoir par terre, un sauvage s'assit sur les genoux de chacune d'elles pendant qu'un autre par derrière lui tenait les bras. On lui passa alors une corde au col et on lui mit une peau de chevreuil sur la tête. On fit avaler trois pilules de tabac à chacun de ces pauvres malheureux et on leur donna un coup d'eau à boire, afin que les pilules se détrempassent dans leur estomac, ce qui leur fit perdre connaissance; puis les parents de la défunte se rangèrent à côté d'eux à droite et à gauche, et tirèrent, en chantant, chacun un bout de corde qui était passé autour du col avec un nœud coulant, jusqu'à ce qu'ils fussent morts; après quoi on les enterra.
« Nous étions saisis de tristesse et d'horreur d'avoir vu un spectacle si affreux. C'est pourquoi nous résolûmes de partir. »