Le bal en hiver vers 1820
Le bal en hiver ver 1820
HISTOIRE
Berquin-Duvallon a beaucoup écrit sur la Nouvelle Orléans vers 1820. Il raconte ici, avec de nombreux détails, les bals publics qui ont lieu chaque semaine en hiver , une activité que les locaux adorent !
En hiver, durant le carnaval, il existe un bal public ouvert deux fois la semaine, un jour pour les grandes personnes et un autre pour les enfants. Dans un local nullement apparent, qui n'est autre chose qu'une espèce de Halle aménagée au centre d'une grande baraque, située dans une des rues transversales de la ville. Lieu de parade ou l'on ne peut se rendre parfois qu'au risque d'être amplement crotté, même au moment d'y pénétrer, malgré toutes les précautions possibles.
Cette salle de danse est un boyau long d'environ quatre-vingts pieds sur trente et quelques pieds de large, des deux côtés du quel boyau on aménagé des gradins ou espèces de loges, ou se placent les mamans et celles qui ne dansant point, y font tapisserie ; et seront comme on dit ici, par forme d'ironie (et je ne sais pourquoi), bredouilles, jusqu'à ce que étant prise enfin pour danser et descendant les gradins, de froides spectatrices, au regard abattu, aux traits allongés, elles deviennent bientôt d'ardentes actrices, au teint vif, aux yeux pétillants et sont, dès lors, et par le fait, complétement débredouillées.
Au-dessous de ces gradins se trouve une rangée de bancs et chaises pour les danseuses qui se relaient, et entre ces loges et ces bancs se trouve un espace de 2 à 3 pieds de large et où sont entassés, pêle-mêle, et froissés les uns sur les autres, les danseurs de réserve et simples assistants.
Les joueurs d'instruments sont cinq ou 6 bohèmes ou gens de couleur, raclant fortement du violon, et rangés en file sur une espèce d'estrade au milieu d'un des côtés de la salle.
Cette salle est faiblement illuminée, pour un lieu de cette nature où l'on doit prodiguer l'éclat et les reflets de la lumière sans lustre, sans trumeaux et sans décoration quelconque. Et d'ailleurs, la distribution et la mesquinerie du local où il n'est pas jusqu'au simple plancher qui ne soit pitoyable, y rendrait tout embellissement ridicule.
C'est donc là que dans les mois de janvier et février, et rarement avant ou après, on va se trémousser hommes et femmes, une ou deux fois la semaine, depuis sept heures du soir jusqu'au lendemain matin, et se lasser à figurer, grosso modo, des contredanses, Et quoi encore ? des contredanses au sons aigu de quelques violons, maniés par des ménétriers, qui en donne aux danseurs pour leur argent.
Le prix d'entrée en ce charmant réduit, ce temple de Therpsicore, est uniformément fixé à quatre escalins ou demi piastres par individu, sans distinction de sexe.
Chacun, à ce prix, ( j'entends la classe blanche), y peut entrer avec une mise décente, mais sans masque, (qu'on n’y admet plus depuis une scène scandaleuse qui y provint de quelques mascarades), et figurer à son gré soit comme spectateur, soit comme acteur, s'il peut néanmoins trouver place pour danser, au milieu de cette cohue où il règne assez peu d'ordre et où le plaisir qu'on peut trouver à la danse, y est réservé à un certain nombre de personnes, et concentré dans quelques coteries qui ont l'adresse de s'assurer entre elles les places et de danser, continuellement à la barbe et au nez de ceux qui n'y sont point admis. Jusqu'à ce que, par lassitude ou autrement, elles veulent bien les laisser cabrioler à leur tour.
Cette espèce de monopole, exercée avec dessein et prétention, sur la jouissance d'un amusement qui, par son essence devrait être commun à toute la société, cette aristocratie d'entrechat de coulés et de jetés-battus, occasionné ici, quelquefois, des querelles violentes et même des voies de fait sérieuses, au point d'une respectable mère de famille de ce pays, ne peut qu'attribuer à cette même cause la perte de son fils unique, jeune homme de 18 à 20 ans, qui donnait de belles espérances, et qui nouvellement arrivé d'Europe et assistant à l'un de ces bals, y fut provoqué ouvertement par un individu de(voir l’ article « colichemardes »)ces coteries, se battit le lendemain avec lui et fut tué d'un coup d'épée.
Au sujet des rixes qui se forme de fois à autre en ce lieu consacré aux amusements et à la joie, par un effet de diverses prétentions ridicules et mal fondées, ne s'en est-il pas dernièrement élevé une dont les suites auraient pu être très funestes à tous égards, sans la présence d'esprit de 2 ou 3 jeunes Français nouvellement arrivés en ce pays, qui s interposèrent promptement entre les militaires et les bourgeois du lieu, prêts à en venir aux mains au milieu de la salle et d’ une souke ( ?) de femmes et de filles épouvantées, éperdues, et dont quelques-unes même tombèrent évanouies aux approches du choc, ou en firent le semblant, et d'autres se jetèrent dehors par les fenêtres ?
Il me prend envie de vous raconter le fait en ce qu'il est caractéristique, et voici ce dont il s'agit.
Le fils aîné du gouverneur général dansant mal les contre-danses françaises ou ne les aimant pas et voulant néanmoins danser avait plusieurs fois réussi à y faire substituer les contredanses anglaises, dont il s'acquitte mieux , ce à quoi L'Assemblée avait adhéré par condescendance au goût et aux dispositions de Monsieur le fils du gouverneur.
Cet acte de complaisance, de la part de l'Assemblée fut sans doute mal interprété par notre jeune Espagnol , qui s’en fit un titre ( comme cela est assez ordinaire), pour en abuser. Et de fait, sept contredanses françaises s'étant formées et les danseurs et danseuses commençant à se mouvoir au son des instruments, voilà notre étourneau qui, sans autre préambule, se met à crier. « Contredanses anglaises».
Et nos figurants, choqués de son indiscrétion et qui d’ailleurs, était déjà en branle de crier à leur tour et plus fort. Ici, contredanse française, voilà. Au fil du gouverneur se joignait quelques-uns de ses adhérents qui répétèrent avec lui « contre-danse anglaise ». Et les danseurs et les spectateurs retrouvèrent les cris de « Contre-danse française » !. C'était un chamaillis confus, un Brouhaha qui ne finissait point. Alors l'agresseur, voyant qu'il ne pouvait pas en venir à ses fins, donne ordre au ménétrier de cesser de jouer. Et ils obéirent sur-le-champ.
D'un autre côté, l'officier espagnol qui était de service pour maintenir le bon ordre en ce lieu, ne songeant qu'à complaire au fils du gouverneur, fait avancer sa garde composée de 12 grenadiers qui entrent dans la salle de bal, le sabre aux côtés, la baïonnette au bout du fusil.
L'on dit même que le tumulte, redoublant à la vue de cette garde, il lui ordonna de faire feu sur l'Assemblée si elle ne se dispersait aussitôt, mais ce n'est là qu'un oui-dire. Imaginez alors l’épouvante des femmes qui mettaient les hauts-cris, et la fureur des hommes, dont le nombre s’ augmenta bientôt par le concours de ceux qui étaient dans les salles de jeux et qui vinrent se joindre à ceux de la salle de danse.
À suivre.